Un article satirique sur les enquêtes PISA

Avant de commencer, cher lecteur ; quelques précautions d’usage. Le fait que je traduise cet article ne doit pas te laisser penser que j’y adhère totalement. Il s’agit bien sûr d’un article satirique, dont le but est de faire réfléchir par la provocation (pas toujours du meilleur goût, c’est une des règles hélas trop souvent employées du genre). Il n’a pour but que de te permettre d’approcher d’un peu plus près les préoccupations et les blagues allemandes. Il m’a permis aussi de m’exercer à la traduction et de m’apercevoir que c’était là une activité difficile où les choix sont très complexes, et où il m’a fallu souvent l’aide de mon colocataire…

























Ce A qui sort de la bouche de l'élève est le symbole connu de l'ANPE allemande...



Joie de l’Avent – Méditation sur les études PISA

"Enfin c’est reparti, l’époque la plus agréable de l’année commence, qui se compose, non sans raison dans notre Occident chrétien, d’un mélange coloré de rituels alcoolisés. Mais depuis quelques années, nos traditions sont complétées par une nouvelle coutume médiatique au début du mois de décembre. Ainsi en était-il encore cette année : le 4 décembre, l’OCDE rendait une fois de plus publique sa nouvelle étude PISA.

                Ce qu’est vraiment l’OCDE, seule une faible minorité d’Allemands le savent de toute façon, et une explication plus précise semble de toute manière peu rentable avec eux. En fin de compte, c’est une organisation dont les employés analysent avec sérieux l’intelligence des humains âgés de 15 ans. Ils pourraient aussi bien mesurer celle des vers de terre.

Quiconque a pris le temps d’étudier le comportement d’une créature boutonneuse et rebelle, a pu conclure que ce comportement est déterminé par un énorme surplus d’hormones et d’Alkopops.

[NdT : L’Alkopops est une boisson apparue en 2007 en Allemagne et qui se compose de jus de fruits ultra-sucrés contenant une dose de schnaps. On trouve son équivalent en France avec la Kriska par exemple qui contient elle de la vodka. Ces boissons, faiblement alcoolisées, ont obtenu visiblement un énorme succès chez les jeunes allemands. L’Etat a du même entamer une réflexion sur leurs conditions de vente, après que quelques cas de comas éthyliques se soient produits (dont selon mon colocataire un ou des cas mortels…)]

La vie intelligente âgée de 15 ans n’a jusqu’ici pas pu être prouvée scientifiquement sur notre planète, et elle est classé dans les tables mythologiques avant le Wolpertinger.

[NdT : Le Wolpertinger est un peu l’équivalent de notre dahu. Animal fictif croisant plusieurs animaux, invention bavaroise, les Bavarois aiment à l’invoquer pour se moquer des non-bavarois. (Parmi les non-bavarois, je te prie cher lecteur de compter bien entendu les Allemands, qui dans leur majorité, toujours d’après mon colocataire, ignorent aussi ce qu’est le Wolpertinger.) Comme tu le vois les Bavarois sont un peuple gai et amical.]

                Dans ce contexte, les hurlements médiatiques ritualisés apparaissent d’autant plus surprenants.

Qui est vraiment choqué d’apprendre que les jeunes de 15 ans sont totalement niais ? Ils écoutent Tokyo Hotel, essayent de noyer leurs cratères acnéiques dans le Clearasil, et si on les quitte des yeux une seconde, ils se livrent tout de suite à l’onanisme. Et ils sont censés ne pas pouvoir compter, lire et faire des nœuds ? Quelle surprise !

                Le rituel veut que pendant la période PISA, chacun a la permission de dire quelque chose sur le thème à la télévision. Même ceux qui passent le reste de l’année dans des hôpitaux psychiatriques ou qui feraient mieux de le faire. Même la ministre de l’éducation ou même le dément Schönbohm ont le droit à la parole. La fête PISA commence.

[NdT : M. Schönbohm est le ministre de l’intérieur du Bundesland de Brandebourg, CDU, très, très, très à droite (comparé à Le Pen par mon colocataire dont la culture m’étonne de plus en plus au fil de ses explications)]

                Dès que les résultats choquants sont publiés, d’après lesquels nous atterrissons encore une fois même derrière la Pologne, c’est parti. Qui va faire en premier la proposition la plus cinglée ? Toujours appréciées par exemple sont les Kopfnote.

[NdT : « Kopfnote » littéralement notes par têtes ; note utilisée autrefois (aussi en RDA où mon colocataire l’a expérimentée autrefois) qui prenait en compte le « sérieux », « l’ordre », « l’assiduité », la « coopération » et le « comportement ». Quelque chose qui se rapprocherait donc un peu de notre note de vie scolaire…]

Finalement, nous les avions aussi autrefois. Et les choses d’autrefois étaient en réalité toujours bonnes. On pense seulement au pas de l’oie, à la guerre éclair contre la France pendant quatre ans, et à un Autrichien appelant toutes les sympathies aux moustaches marquantes.

                Ah ! Et ils étaient tous avisés autrefois ! Posez donc la question à quelqu’un des promotions 1920-1930 : combien doit fournir annuellement la collectivité pour les handicapés ? Il a calculé ça vite fait jusqu’au dernier pfennig, croisé avec le coût d’un hébergement alternatif dans des camps efficients [NdT il y a ici un jeu de mots car Lager veut dire camp également au sens de gîte etc.…] et combien doit-on fournir pour une aide à la mort à visage humain. Et tout ça seulement grâce à son intellect exceptionnel !

[NdT : Ne sois pas surpris cher lecteur, comme je te l’ai dit et comme je te le redirais sans doute, l’Allemagne n’a de cesse d’interroger son passé et de travailler sa mémoire. Cela passe bien sûr par de multiples plaques, monuments et commémorations officiels. Mais aussi par la profusion éditoriale et médiatique de livres, articles, documentaires, téléfilms et films sur le sujet. On le ressent aussi dans les blagues noires qu’aiment à faire les présentateurs de late-show ou visiblement les journaux satiriques, qui font en général frémir ou rire jaune les publics…]

                L’étape suivante de la PISA-Fest se nomme « Deutschland sucht den Super-Idioten » [NdT : référence à l’émission Deutschland sucht den Super-Star, l’équivalent de « A la recherche de la nouvelle star »]. Comme nous vivons dans une société de concurrence, nous nous définissons par la comparaison. N’importe quel mauvais résultat peut ainsi être atténué, car il y en a toujours un plus mauvais. Ce rôle d’intérêt général est habituellement assumé par Brême. Qui n’a pas déjà supposé que les Fischköppe ne sont pas des lumières ? [NdT : le sens de l’expression Fischköppe me reste inconnu cher lecteur, il a sans doute quelque chose à voir avec les poissons, tu sais bien que Brême n’est pas bien loin de la mer]. Mais les enfants pauvres de PISA peuvent se réhabiliter eux-mêmes, quand ils prouvent que des enfants de montagnards anatoliens immigrés font baisser leur moyenne d’éducation.

 

                Ainsi, finalement, tout le monde est content, car une fois de plus toute la faute revient à l’Oriental. Les Allemands ont traité les Turcs avec tellement d’amour et d’affection pendant toutes ces années, qu’on serait en droit d’attendre au moins des « petits turcs au cumin » [NdT expression traduite littéralement, qui contient ironiquement beaucoup d’affection, voire un peu niaiseuse] qu’ils soient sages et réceptifs à l’apprentissage. A présent la couvée [NdT il y a ici un jeu de mots qui fait référence au racisme dénoncé ici, car le mot « Brut » peut s’employer pour dire couvée au sens vétérinaire, déjà péjoratif dans ce contexte, mais aussi familièrement pour dire « sale race »] peu reconnaissante fait baisser les résultats du test ! A un moment ou un autre, il faut bien arrêter avec les cajoleries perpétuelles et la bonhommie. Des peines de prison et des expulsions plus sévères feront mûrir les petits mollahs vers des jeunes hommes bien élevés.

[NdT : Voici un passage bien riche, cher lecteur. La mauvaise réputation de Brême se laisse souvent remarquer dans les médias, confirmée aussi par mon colocataire cultivé. A contrario, le sud de l’Allemagne (Bavière et Bade-Wurtemberg) est réputé pour la qualité de son système éducatif.

Quant au racisme envers les Turcs dont il est ici question, et les références à d’éventuelles lois répressives en débat, voilà un thème que je n’ai pas encore observé de près]

                A la place opposée, comme chaque année, la Bavière a naturellement gagné. C’est parce qu’ils sont tellement éduqués qu’ils choisirent Edmund Stoiber comme leur chef, et parce qu’ils se réjouissaient et qu’ils étaient si intelligents, ils laissaient un ICE super rapide traverser sa tête en seulement 10 minutes.

[NdT : Edmund Stoiber était le président indéboulonnable de la très traditionnelle et catholique CSU et le président de la très traditionnelle et catholique Bavière pendant longtemps. Il est souvent moqué pour sa bêtise, et les rassemblements de son parti, cors de chasse et habits traditionnels à l’appui n’y sont pas pour rien. Quant à la blague sur l’ICE, peut-être l’ai-je mal traduite, en tout cas son sens m’apparaît inconnu]

                Après le point d’orgue obligé – l’émission consacrée au thème chez Sabine Will – la fête Pisa touche à sa fin. Dans l’intervalle jusqu’à la prochaine, des fonctionnaires frustrés régentent dans les ministères de l’éducation avec des idées drôles et cinglées, afin de se venger de leurs propres défaillances dans le métier de professeur. Mais rien de décisif ne doit tout de même être modifié, autrement la belle coutume disparaitrait et les médias devraient parler du virus de la grippe aviaire toute l’année.

                Si on voulait vraiment s’y mettre, et avoir autant de succès que les Finnois, il suffirait pourtant  de distribuer de la vodka aux mineurs et d’augmenter le taux de suicide (on pourrait pour ce faire expliquer aux petits « stupidos » que leur vie n’a plus de sens car Bill Kaulitz de Tokyo Hotel est homosexuel).

Au lieu de ça, on imagine des exercices de comparaison qui ne font pas sens, car ils sont comparés avec les mêmes imbéciles. Ou on développe des classes d’élèves doués et rapides, comme si courir vite avait quelque chose à voir avec l’éducation.

                Nous ne devons pas perdre de vue la signification originelle de la fête. Ici il a simplement été question de l’événement et de l’ambiance. Mais le but de la fête est de tirer une fois par an un bilan, et de constater avec tranquillité que sa propre jeune génération est encore moins intelligente que soi même. Ca fait du bien !

                A propos, les festivités PISA sont une spécialité allemande et ne sont expérimentables sous cette forme que chez nous. Pensez-y peut-être quand vous mettez une raclée à votre petit dernier parce qu’il ramène encore un 6 à la maison. "

[NdT : En Allemagne, le système de notations est un peu différent. Un 1 est la meilleure note, l’équivalent d’un 20 sur 20. Puis plus le chiffre est élevé, plus la note est mauvaise. Un 4 représente tout juste la moyenne, considéré déjà comme très mauvais. Alors un 6… Ca pose la question du 0 ? Existe-t-il ? Je vais me renseigner…]

 

Article tiré du Eulenspiegel de décembre 2007, p.28

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :